Petit récit du site
www.vendeeglobe.org
"La nuit est noire. Allongé sur le siège dans le cockpit, engoncé dans ce ciré que vous n’avez pas quitté depuis le départ, vous somnolez. Malgré le vent qui hurle dans le gréement, malgré les voiles qui vibrent dans les rafales, votre tête tombe et vos yeux rougis par le sel, la fatigue et le mal de mer se ferment. L’espace de quelques secondes vous avez l’impression de vous enfoncer dans des brumes cotonneuses qui vous éloignent de cette mer si hostile. Mais le bateau accélère, monte sur la vague, décolle. Cette fois ça va être violent.
Réveil instantané tous les sens en éveil. Les yeux grands ouverts, le ventre noué, vous attendez la chute. Instant fugace avec la sensation d’être suspendu dans le vide et l’attente interminable de l’impact. Dans un bruit énorme, la coque retombe et tape violemment sur l’eau aussi dure que du ciment. Le choc vous oppresse et vous écrase sur votre siège. La secousse se répercute partout. Vous sentez confusément l’effort des pièces qui, sous la tension, s’étirent à la limite de leur résistance. Chacune est essentielle à cet immense puzzle que constitue ce bateau. Tenir, il faut qu’elles tiennent.
Mais déjà le bateau repart à l’assaut de la vague suivante. L’inquiétude, la peur parfois. S’occuper la tête pour ne pas y penser. Réfléchir, se dire que dans ces circonstances, on ne peut pas faire mieux. La vitesse, l’allure, les réglages, la route, tout est bien.
Avancer coûte que coûte en se disant qu’on est là où il faut être, qu’il faut bien passer le front de cette dépression, que les petits copains sont dans la même galère.
Depuis ce dimanche à 13h02, rien ne vous a été épargné. L’émotion du départ dont il a fallu digérer les mots forts, les larmes et les applaudissements admiratifs de la foule pour rentrer dans la vie de reclus solitaire. La transition a été difficile, tant les liens qui vous rattachent à la terre vous ont fait sentir le poids de la solitude dans l’affrontement obligé de la dépression qui se creuse là-bas dans l’ouest.
Dès la première nuit la houle s’est creusée, et le temps d’adaptation pour passer de l’état de terrien à celui de « merrien » s’est réduit à sa plus simple expression. Dans ces conditions, l’organisme renâcle et s’exprime. La tension psychologique du départ n’a rien arrangé. Apathie, somnolence, mal de tête, manque d’appétit, moral en baisse, nausées, certains ont subi ces troubles que l’on qualifie de mal de mer. Pas l’idéal pour affronter une mer aussi difficile.
Dans cette phase de transition vers la vie marine, il faut en effet que le système de l’équilibre de l’oreille interne arrive à occulter les informations sur les mouvements du corps liés aux mouvements du bateau.
Ces informations contredisent les informations sur la posture du corps en provenance d’autres récepteurs. Tant que ces influx nerveux existent, ils s’accumulent, perturbent le système nerveux en provoquant les troubles bien connus.
Tout ceux qui un jour dans leur vie ont subi le mal de mer savent quel effort surhumain il faut faire pour ne pas succomber à la léthargie et au laisser aller.
Quand on connait les exigences d’un 60 pieds de course au large, on ne peut qu’être admiratifs devant ces marins qui malgré l’adversité ont continué à gérer au mieux leur machine. Certains cachent leur mal de mer, ils ont tort. Etre capable, même face au pire, de se dépasser, seul, est un magnifique exemple de ténacité et de détermination"
Dr Jean-Yves Chauve
Fimbur