Intéressante question sur le mental en course.
Si je comprends bien, ta perte de motivation n'est pas à l'entrainement où tu te donnes les moyens de réaliser ce que tu as prévu de tenter, mais pendant les courses.
Je pense que une grande partie de ceux qui ont abandonné une jour pendant une course sans être blessés pourront témoigner. De fait, ça concerne quasi tous les coureurs.
Cela renvoie à la difficulté des épreuves longues auxquelles on participe. Parfois, on se demande pourquoi on est là et ce qu'on fait comme ça à souffrir dans des conditions hostiles alors qu'on pourrait très bien renoncer.
Il y a des tonnes de publications sur la préparation mentale etc.
L'un des paramètres essentiel de l'ultra trail est l'aspect mental.
Un coureur très performant sur du court peut ne jamais réussir en ultra, et inversement
Sur du court/ pas trop technique, c'est le paramètre physique qui rentre en 1er.
Tu as un gros moteur, tu es devant.
Sur du long, les paramètres sont beaucoup plus nombreux, à commencer par l'alimentation, la capacité d'endurance et de résistance liée à la répétition des entrainement, la réflexion sur ses motivations etc...
Souvent ceux qui abandonnent le font après avoir broyé du noir pendant la dernière partie de la course, ou se disent "c'était super au début, j'en ai assez vu, hop, rideau".
Le problème est que le lendemain, on n'est plus du tout dans le même état d'esprit, et on ressasse un pourquoi sans réponse, et ça peut durer des mois ensuite et affecter le reste de nos activités/ passions.
Peut-être aussi te dis tu que tu as déjà réussi à faire des choses incroyables : toutes les difficiles courses dont tu es déjà venu à bout, et tu ne vois pas aujourd'hui pourquoi tu te ferais mal pour aller dans des états que tu connais déjà.
Je suis assez mal placé pour parler de l'abandon : j'ai abandonné une fois en quelque 75 courses, et c'était lié à un manque d'équipement et de volonté de prendre des risques suite à un orage particulièrement violent à l'UTB.
Par contre, je peux parler aisément du nombre de fois où je me suis dit : abandonne, là, ce sera plus simple, et finalement je suis reparti pour terminer.
Finalement, c'est vraiment personnel, probablement une question d'orgueil et de caractère.
Il faut être capable de faire passer la volonté extrême de continuer, au-dessus de tous les signaux que donne le corps pour débrancher le cerveau.
Le cerveau donne des alertes négatives pour protéger le corps.
Le seul problème est que pour la majorité des personnes, il le fait très en amont des réels risques.
cela signifie que les signaux envoyés par le cerveau vont venir complètement perturber le fonctionnement de tout le corps.
pour rappel, chez tous les être vivants ou presque, il existe des états de mise en veille automatique destinés à mettre en sécurité les organes vitaux.
C'est le cas par exemple pour les animaux qui hibernent, ou pour l'homme par le mécanisme extrême de coma, qui peut être réversible une fois que les risques vitaux sont écartés.
Evidemment, en course, on n'en est pas là, mais probablement que les mécanismes reptiliens sont à l'œuvre.
Un peu de préparation mentale avec une aide extérieure peut probablement aider. La
PNL est souvent un bon outil : se conditionner à se rappeler des moments agréables en mémorisant des situations confortables et réconfortantes, pour se les remettre en tête à un moment difficile.
On peut aussi penser à l'après-course. Pourquoi la bière d'arrivée a tant de succès? Probablement parce qu'elle a été l'unique moyen de tenir mentalement pour plein de coureurs pendant la course.
En course, il y a des pièges à éviter: typiquement quand on fait un parcours en boucle et qu'on repasse à proximité du départ/ de la douche/ de sa voiture... c'est terrible. je sais que l'Origole et le Grand Duc sont réputés pour ça.
Autre exemple: quand on croise à un ravito les bus tout propres et chauds, prêts à raccompagner les concurrents en détresse. C'est le cas par exemple à sainte Catherine sur la Saintelyon. c'est terrible : on souffre, il fait froid. Juste un pas de côté, et on sait que c'est instantanément terminé. le cerveau prend vite le contrôle si on ne lui dit pas de fermer sa bouche...
ça vaut le coup de préparer mentalement ces moments là en se les jouant avant dans la tête : j'arrive à la base vie : qu'est-ce qui est le plus important pour moi : mon confort ou terminer la course (probablement en souffrant) que je prépare depuis des mois?
Quand on se le fait dans la tête avant, la réponse est évidente. quand on est sur place, elle le devient beaucoup moins. Se rappeler qu'on a répété la situation avant peut permettre de changer une décision prise à chaud.
Et puis après, en course, j'ai expérimenté que les moments de moins bien sont toujours suivis de moments de mieux.
J'ai essayé de décrire ça dans un
CR du 90 du MB où j'ai vraiment failli abandonner à Emosson, et quelques heures plus tard, j'ai connu le plus gros flow de ma carrière, un truc assez incroyable.
Il m'arrive régulièrement de relire ce CR avant une course. Ce n'est pas par gloriole perso ou par vanité (je suis et reste un coureur très moyen), mais juste comme exercice de programmation mentale.
Relis ton CR de la Saintélyon 2019. Il est extraordinaire ce CR, et tu t'es prouvé que tu pouvais faire des choses extraordinaires. Donc ça n'a pas changé aujourd'hui.Quand j'ai une douleur, je me répète comme un mantra : t'as pas mal, t'as pas mal, t'as pas mal.
Souvent ça marche. J'ai éradiqué comme ça une douleur super pénible au tendon d'Achille pendant l'UTMB, après Courmayeur.
Le principe du taping est assez proche de cela me semble-t-il : il donne des leurres au cerveau. Le mantra dans la tête est une sorte de leurre : on détourne l'attention du cerveau et par méthode coué, on lui rappelle que tout va bien. au bout d'un moment, il se la ferme
Bon, attention, cette méthode est redoutablement efficace, mais en cas de blessure vraiment sérieuse, on peut aussi aggraver considérablement la blessure, qu'on va ensuite traîner pendant des mois. Le cerveau, des fois, il est pas si con que ça non plus.
Parfois, je me mets de la musique que j'aime dans les oreilles (en général, musique plutôt douce et calme), ça change complètement mon comportement.
Et puis, en ultra, il faut accepter de souffrir et de se mettre des coups de pieds au cul.
C'est exactement pareil que de se remettre à courir et relancer après des heures de course. Au début, ça fait très mal, puis le corps redémarre. Tu lui as dit que non, tu ne tomberais pas dans le panneau du cerveau qui veut absolument que tu arrêtes les conneries.
Après, une des solutions peut aussi être de repasser pour le moment sur du court, et ne réaborder l'ultra que dans quelques années, avec de nouvelles raisons d'y aller.
Il y a je pense un phénomène d'accoutumance à l'ultra, et quand on a déjà connu une distance, qu'on sait le mal que ça fait, on n'a pas forcément envie de recommencer.
Là aussi, je pense que ça peut se travailler avant: en mettant des mots derrière ce phénomène.
OK, cette course ou cette distance, je l'ai déjà fait, mais voici les nouvelles raisons qui font que cette année, je veux aussi la faire et aller au bout. C'est pour ça que je m'entraine et me donne du mal...
Lister nos bonnes raisons de faire une course quand on l'a décidés, ça aide à se le rappeler ensuite.
La honte dont tu parles, elle ne peut être que par rapport au regard des autres.
Si tu as réussi une course de 76 km, tu vas être beaucoup mieux estimé que si tu fais 76 km d'une course de 100 km.
Pourtant, l'effort est exactement le même.
A chacun ensuite de remettre à sa juste place la portée de l'effort: non, tu n'as pas abandonné bêtement au bout de 76 km, tu as d'abord réussi à faire 76 km dans des conditions difficiles, et tu peux en être fier..
C'est aussi une question d'estime de soi... qui va bien évidemment largement au-delà du sujet que tu abordes.
Le supposé regard des autres : la famille qui ne comprend pas pourquoi après une telle préparation tu n'y es pas arrivé, les collègues qui attendaient le récit de tes exploits à la machine à café etc...
eh bien des fois, il faut aussi apprendre à rendre sexy un truc qui au départ ne nous semblait pas si sexy que ça : la journée a été magnifique, j'ai fait de belles rencontres, j'ai touché mes limites etc... que des sujets positifs qui te feront aussi passer aux yeux des autres comme une personne raisonnable, mature, humaine donc...
Pour finir, après mon seul abandon sur une course, j'ai eu beaucoup de félicitations de mes proches, qui m'ont fait savoir qu'ils avaient apprécié mon sens de la mesure pour ne pas prendre de risque etc... ça m'a laissé depuis beaucoup plus de liberté pour faire ce que je voulais.
Voilà pour ma petite expérience perso du sujet.
Bon courage