par Jiro » 06 Juil 2024, 18:04
La Western States. J’en rêvais. C’était pour moi le Graal du Trail Running. L’histoire de cette course qui traverse la Sierra Nevada me fait vibrer depuis longtemps. Son itinéraire sur les traces des 49ers de la rue vers l’or. Gordy Ainsleigh qui décide au début des années 70 de prendre le départ de la Tevis Cup, course d’endurance à cheval… En courant. L’esprit libre et pionnier américain.
Pourtant, samedi dernier, au départ de la course, je n’étais ni excité, ni réellement, ému. J’étais stressé, très stressé. Depuis 10 jours je traine une tension au niveau du fléchisseur de la hanche gauche. Avoir la chance unique d’être au départ de cette course mythique et ne pas être en pleine possession de mes moyens, je n’arrivais pas à me défaire de ce stress.
5h00 du matin, il fait environ 10°C à Olympic Valley, le départ est donné avec un coup de fusil. Pas de musique, pas de speaker qui hurle dans le micro. C’est cette simplicité que je suis venu chercher (pourtant, environ 50 coureurs élites étaient au départ cette année). La montée vers Escarpment se déroule bien. Je l’avais reconnue à 2 reprises. Elle est roulante mais certaines sections sont raides et avec l’altitude, il ne faut pas griller ses cartouches sur les 4 premiers km. Arrivé un peu avant le sommet, je crains d’avoir été trop rapide car la chinoise Fu-Zhao Xiang (future 2ème) me double. Il y a du monde au sommet d’Immigrant Pass, je me retourne pour voir le lever de soleil sur le lac Tahoe. C’est magique. Je réalise que je suis dans la course et je suis submergé par l’émotion. Je passe le sommet les larmes aux yeux, en 48 mn, pile poile dans les temps de passage que je me suis fixé pour un objectif de 21h00.
Comme j’ai participé au Training Camp fin Mai, j’ai reconnu la section Robinson Flat – Auburn. D’Escarpment à Robinson Flat, je rentre donc dans l’inconnu. Je ne suis pas réellement gêné par ma hanche et croise les doigts pour que cela tienne. Je ne suis pas pour autant serein. Je reste sur la réserve durant les premiers km dans le Granite Chief Wilderness. Je profite de cette nature sauvage. Superbe. A plusieurs reprises, mon pied droit butte dans des pierres. Je ne comprends pas pourquoi. Dans une petite descente, rebelotte et là c’est la chute avec un beau plongeon. J’ai le réflexe de mettre mes mains, mais ma cuisse gauche tape une pierre, sensation de béquille. Plus embêtant, je heurte violemment une pierre au niveau du thorax. Je me relève rapidement. Heureusement que la flasque et les gels ont amorti le choc sur une côte. Néanmoins, j’ai mal. La douleur reste assez vive pendant quelques minutes puis je m’y habitue. Je pense qu’elle est fêlée (ce qui s’avèrera être le cas). Décidément, ce début de course ne se présente pas comme espéré. Je continue régulièrement de taper mon pied droit dans des pierres. Peut-être est-ce lié à la tension que j’ai au niveau de la hanche ? Je dois inconsciemment modifier ma foulée. Le jour est bien levé et le chemin qui suit les crêtes (Lyon Ridge puis Red Star Ridge) est magnifique, avec de belle vue sur la Sierra Nevada et certains sommets encore enneigés. Je cours seul. Personne ne me double et un groupe de 3 coureurs est 1 mn devant moi, je commence à être un peu plus décontracté.
Arrivée à Duncan Canyon (39 km) en 4h24, je suis 3 mn en avance sur mon temps de passage. Impeccable. Mon assistance est là. Je suis content de les voir. Ravito express comme tous ceux où sera présente mon assistance : une purée pomme, banane, riz avalée sur place et je repars avec 2 flasques avec des électrolytes et une nouvelle réserve de gels. J’ai fait le choix de manger un gel (30 g de glucides) toutes les 30 mn et de ne boire que de l’eau avec des électrolytes. Pas de glucides dans la boisson pour être certain de la quantité de glucides que je vais consommer. Avec les variations de températures, il n’est pas impossible que je boive entre 400 ml et 1500 ml / heure, je me suis dit que l’ingestion de glucides serait trop aléatoire via la boisson.
RAS jusqu’à Robinson Flat. A partir de là, je connais le parcours. Devant moi, 25 km de descente. Je pourrais envoyer car c’est assez roulant par endroit, mais je joue la prudence (un peu trop). Il me faut conserver de l’énergie pour passer les canyons et surtout conserver des jambes pour la fin du parcours. On dit que la course commence à Foresthill, au 100ème km. A partir de Robinson Flat, je mets systématiquement de la glace dans mon Ice Bandana ou plutôt les bénévoles s’en chargent. Sur les ravitos sans assistance, ma routine est systématiquement la même : les bénévoles remplissent mes flasques d’eau et mettent de la glace dans mon bandana pendant que je sors mes électrolytes et que je jette mes emballages de gels. Je reste entre 1 mn et 2 mn max sur les zones d’assistance. Les bénévoles sont vraiment extraordinaires. Aux petits soins, chaleureux. Toujours un mot sympa. On sent vraiment leur envie de tout faire pour satisfaire le coureur et contribuer à ce que sa course soit une belle expérience. Pour 375 coureurs, il y a tout de même 1500 bénévoles sur l’organisation !
Je retrouve à nouveau mon assistance à Dusty Corners (61 km) où je passe en 6h54 avec 6 mn d’avance sur mon plan. J’assure la descente dans le premier canyon vers Swinging Bridge pour ne pas trop entamer mes quads. J’ai d’ailleurs l’impression de me traîner par rapport à la reco… Ce qui est le cas ! En bas, il fait chaud (une quarantaine de degrés), mais c’est supportable. En tout cas, je ne souffre pas trop. Je remonte le canyon jusqu’à Devil’s Thumb, puis replonge vers El Dorado, le deuxième canyon. Je sais que la remontée vers Michigan Bluff (90 km) risque d’être un peu plus rude car le haut est bien exposé au soleil. Je perds un peu de temps avec un début d’ampoule et j’arrive à Michigan Bluff en 10h53, un peu en retard sur mon plan (10h49). J’avais prévu de changer de chaussettes et de chaussures à Foresthill, mais j’anticipe ce changement. Là aussi, je perds un peu de temps car je dois m’assoir et en m’asseyant… J’attrape des crampes ! Je repars avec les pieds bien crémés, des chaussettes propres et de nouvelles chaussures. C’est le pied !
Pourtant je dois m’arrêter à nouveau quelques kilomètres après, dans la descente vers Volcano Creek… Une autre ampoule apparait sur un orteil et elle me gêne. Elle finit par se percer et tout rentre dans l’ordre, je peux courir correctement jusqu’à Foresthill (100 km) où je m’arrête juste le temps d’avaler ma compote. Je prends ma frontale au cas où, même si a priori je devrais arriver à Rucky Chucky, prochain point d’assistance avant la nuit. Sur les 26 km qui vont de Foresthill à Rucky Chucky, mon rythme va en progressant et je reprends quelques coureurs sur la section Ford’s Bar (118 km) – Rucky Chucky (126 km). J’arrive au bord de l’American River pile poile dans le temps prévu (15h21 vs 15h23).
A partir de là, Mike mon pacer m’accompagne. On traverse la rivière et je fais le choix de changer de chaussettes et chaussures. Je perds là aussi un peu de temps, mais je joue une nouvelle fois la carte de la prudence. A ce moment-là, j’ai vraiment de bonnes jambes. Je cours toute la montée qui mène à Green Gate. On double Ragna Debats qui ne semble pas au mieux. Plus loin, on allume nos frontales entre Green Gate (128 km) et Auburn Lake Trails (137 km). Le rythme est encore bon, mais cela se corse jusqu’au ravito de Quarry Road. C’est un joli single très roulant, mais je commence à avoir un peu la nausée. Du coup, je ralentis un peu le rythme, mais continue de m’alimenter.
En arrivant sur le ravitaillement de Quarry Road, on entend de la musique. Du rock psychédélique. Quand on débarque sur le ravito, les bénévoles portent des toges ! C’est Scott Jurek en personne qui remplit mes flasques sous l’œil amusé de Hal Koerner… La classe (9 titres à eux deux sur la Western States). Quelques mots échangés, une blague à propos de Jim Walmsley (c’est un peu plus loin qu’en 2017, il avait fait un tout droit à un embranchement et s’était perdu) et on repart dans la nuit sous les encouragements des bénévoles.
Un peu avant d’arriver à Pointed Rocks, un putois se met à jouer les pacers et court sur le sentier devant moi pendant plus de 400 m, jusque dans le ravitaillement. Il se retourne régulièrement, comme pour vérifier que je suis bien ! Là, Mike, mon vrai pacer me laisse, trop fatigué, après avoir assuré l’assistance tout au long de la journée. On est au 152ème km, cela fait 19h17 que je cours. Je repars pour la dernière section qui se passe assez bien puisque je me mets à marcher uniquement dans la dernière partie raide qui mène à Robie Point à l’entrée d’Auburn.
2 petits km restent à parcourir. Je suis accompagné par mon pacer, sa sœur et ma compagne jusqu’à l’entrée dans le stade où je franchis la ligne en 20h34 (48ème). Je pense à mes proches et à mon grand-père décédé récemment. Séquence émotion. J’aurais pu courir en moins de 20h00, mais il m’aurait fallu prendre quelques risques en début de course que j’aurais peut-être payé un peu plus tard. In fine, je suis très content de ma gestion de course, avec les moyens du jour. Je n’ai pas eu de coup de moins bien et j’ai pu courir jusqu’au bout. Heureux aussi de repartir avec la fameuse Silver Buckle – « 100 Miles - One Day » réservée aux finishers en moins de 24h00. Pour l’anecdote, elle coûte plus cher à l’organisation que le prix de l’inscription. No comment. Mais ça en dit long sur l’état d'esprit de l'organisation.
La Golden Hour résume parfaitement l'ambiance unique de la Western States, avec une intensité dramatique incroyable. J’étais au bord de la piste, il faisait très chaud, mais j’avais la chair de poule, notamment quand William Barkam (mal voyant est entré sur la piste). Il termine la course en 30h00mn30s sous les acclamations. Pour 30 s, il n'est donc pas finisher. Je recherchais la simplicité des courses US et cela m’a beaucoup plu. A l’image des Américains, j’ai trouvé la communauté de coureurs, bénévoles, organisateurs, vraiment chaleureuse et bienveillante. Cette course a quelque chose d’unique. Difficile de l’expliquer. Une expérience quasi mystique pour beaucoup. Pour moi cela a été le cas et une semaine après, je suis encore hanté par la course. J’ai adoré. Cela ne fait aucun doute, je tenterai à nouveau ma chance à la loterie !