bubulle a écrit:Donc, la conclusion est simple : je suis obligé de continuer. J'ai pas envie, le col est trop haut, la neige est trop molle. Mais y'a pas le choix. Faut continuer.
Donc, le Monsieur il continue. Je ne vois pas trop comment je peux être à Barme à 1h30 du matin, vu qu'il est 20h et que j'avance comme une tortue. Je ne fais volontairement pas le calcul.
Un switch se tourne dans ma tête : au diable les BH, c'est pas en me stressant avec elles que j'avancerai plus vite. Si je repars, je dois arriver à Barme et au pire je me ferai rapatrier de là à Morgins et baste. Donc, bubulle, arrête de calculer et, au moins, profite !
Et le bubulle, il repart du sous-sol glauque de l'auberge de Salanfe après avoir enfilé à peu près tout ce qu'il avait dans son sac : bas long (par dessus le short!!!), deuxième couche ML, coupe-vent, gants de VTT. J'y serai resté 30 minutes, plus que prévu. Les hésitations, ça n'aide pas.
Et c'est déjà parti pour 3 kilomètres de quasi plat dans cet immense vallon, d'abord le long du lac, puis dans un grand plateau. 1 ou 2 frontales devant, puis on se retrouve à 6 quand je rejoins un petit groupe qui cherche un peu dans ce grand plateau la prochaine balise (ah, le balisage de la SP, il y a tant à dire). Je vais un peu comme en 2017, en MN assez efficace. Mais les jambes ne sont toujours pas là.
Dès que le sentier commence à monter (côté gauche des barres rocheuses, sentier différent de celui, assez exposé, de 2017), sur des pentes très raides, les 5 autres s'éloignent irrémédiablement loin devant et l'Escargot Bubulle grimpe vaillamment, mais pas vite. Avantage : contrairement à Arpette, ce ne sont pas des marches et des rochers. En fait c'est un genre de Col de Tricot un peu plus long.
Arrivé en haut du col, je distingue en dessous quelques autres frontales qui ont attaqué la montée : je me dis que Benman et xsbgv doivent être parmi eux. Mais ils sont loin, ils ne vont pas me rattraper dans la descente....
...me dis-je.
Bin si, en fait. La descente de Susanfe est tout sauf roulante et mes jambes sont trop incertaines pour faire autre chose que du courchage. Surtout, on retrouve cette terre collante...et humide....qui rend le terrain très glissant pas endroits. Et cette roche blanche qui a un peu des airs de lapiaz, très traître. Je perds irrémédiablement du terrain sur les frontales de devant, il m'en reste juste deux plus proches, un couple.
Mais, à part ce côté galère, c'est magnifique de descendre dans cet immense vallon sous la lumière de la lune quasi pleine. Finalement, ces ultras à la con, on les fait un peu pour ça, non ? Et c'est toute la différence avec l'Arpette, c'est que là, j'en profite.
Petite parenthèse avec la fille du couple mentionné ci-dessus. A un moment, son compagnon la perd sans s'en rendre compte et....elle doit changer la batterie de sa frontale Petzl....et elle ne sait pas faire. Résultat, je la rattrape et je tente désespérément de comprendre comment marche cette chose....sans succès. Je pense lui prêter ma petite Stoots, sauf que je n'ai qu'un bandeau pour mes deux lampes! On part donc à la queue leu-leu en espérant que l'autre va se rendre compte qu'il a largué sa copine en pleine montagne. On le retrouve enfin et, à mon avis...il a du prendre cher...

Évidemment, ils repartent et me voilà à nouveau dans ma solitude susanfienne.
Pas pour longtemps car les frontales qui étaient tout tout loin quand j'ai commencé la descente m'arrivent dessus "comme des avions" et me dépassent tous avant le Pas d'Encel. Mais pas de Benman ni xsbgv. Or j'ai bien l'impression que c'étaient vraiment les derniers, ceux-là. Serais-je donc le dernier de la course (et nos kikous auraient arrêté?)
L'avantage, c'est que j'arrive au Pas d'Encel juste après que les derniers m'aient passé, donc je l'ai pour moi tout seul.
Bon, là, je profite moins. C'est quand même très impressionnant et il y a des tas de passages où la chute ne pardonne pas. Rochers ultra-glissants, détrempés, le vide sur la droite, des chaînes sur la gauche. Le Monchu est accroché comme un morpion au moindre bout de chaîne. Il pose les fesses à terre dès que c'est trop compliqué, il assure chaque pied 2 fois plutôt qu'une. C'est encore pire qu'en 2017, j'ai l'impression. J'ai abominablement chaud juste parce que j'ai franchement la pétoche.
Et surtout, ça dure TRES longtemps! Je croyais me souvenir d'un passage de 100-200 mètres, mais en fait c'est acrobatique sur 1,4 kilomètre (la trace de ma montre est partie en live dans cet endroit très encaissé, mais j'ai remesuré sur la carte) et 250D-...en fait jusqu'au point où on arrête de descendre. Je vais mettre 45 minutes pour faire ce passage, tout en voyant face à moi les frontales des coureurs qui sont dans la "petite bosse" avant Barme.
Là, clairement, la tête du bubulle se dit "bon bin, voilà, je serai arrêté à Barme". Et finalement, après ce coup de chaud, je repars à profiter "tranquillement" de ma nuit solitaire en démarrant la montée de 300D+ vers un col sans nom (Bonavau?). Allez, tiens, chococaro m'a passé des bonbons à Salvan (des tas de saloperies en gomme chimique et en trucs qui piquent la langue, j'adore), hop j'en enfourne 4 d'un coup et on part dans la montée, pépère.
Pépère, il a les jambes qui font mal, mais il avance pas mal. Il regarde du côté du Pas d'Encel : zéro frontale, rien, nada, nib, que dalle. JE SUIS LE DERNIER DE LA COURSE, lalalère. C'est marrant, ça m'amuse, en fait.
Autour, c'est toujours magique : un coup la lumière de la lune, un coup plein d'étoiles. On devine maintenant de la montagne à vaches, on dirait que les conneries plein de cailloux, c'est fini. Un peu longuette, la montée (je tiens vaillamment un 400D+/h) et puis y'a plus qu'à redescendre à Barme et voilà, ça sera fini. Roulante, la descente quoique très glissante (boue malaxée par des tas de pieds, le 100K est passé aussi par là), mais je peux enfin trottiner. Barme se fait un peu attendre, je le pensais plus près que ça, mais je finis par y arriver.
Et je suis accueilli par "Ah bin, tiens, tu es juste avant la BH, il est 1h28".
Nooooooooooooooooooon? Je tombe des nues, j'avais l'impression d'être 1/2 ou 1h au delà.
"OK, bon je repars tout de suite, pas de soucis". Allez hop, un bouillon, un plein de flasque et on repart. Autant aller à Morgins à pied plutôt que de m'y faire rapatrier...et puis, on sait jamais, sur un malentendu, je pourrais y passer la BH aussi? Si je pouvais avoir plus de 2 minutes, je ne dirais pas non, mais même s'il faut repartir tout de suite, ça sera "Inch Allah".
Bon, tout ça dure un poil plus de 2 minutes, mais le chef de poste est cool. Il nous pousse dehors avec 2 autres coureurs qui étaient là depuis un moment, attendant la BH pour repartir. Incidemment, il m'apprend qu'il reste 8 coureurs derrière, donc je sais déjà que nos pauvres Benman et xsbgv ne passeront pas cette BH (je ne savais pas qu'ils la croyaient à 3h30).
Et c'est reparti dans la nuit solitaire. Mais, oups voilà que le dodo se rappelle à mon souvenir (jusqu'ici j'ai dormi 10' sur le chemin à La Forclaz...et environ 25 à Salvan). Le regard se brouille, je commence à voir des choses bizarres au bord du chemin. Plus qu'une solution --> caillou et dodo.
Tentative n°1 sur un caillou : j'ai l'impression d'avoir dormi "un peu" (en fait, non). Les deux autres coureurs me dépassent. Ça y est me voilà officiellement le dernier de la course. Mais le nombre de coureurs assis au bord du chemin qui finissent par redevenir de braves cailloux ordinaires augmente à nouveau.
Oh, un banc ! Pas possible, c'est encore une hallu. Ah, mais non, c'est un vrai banc. Paf, tentative de dodo n°2....et je manque 3 fois de tomber de mon banc vu qu'à chaque fois que je m'endors, ma tête part sur le côté....et tout le bonhomme avec.
On repart, toujours avec force petits animaux bizarres qui traversent le chemin, avec aussi un grand phare posé sur la montagne au-dessus (celle où on monte). "ça doit être une remontée mécanique illuminée toute la nuit". Bin oui, bubulle, en Suisse, ils ont tellement d'électricité qu'ils illuminent les télésièges la nuit, même en plein été, pour que ça fasse joli. Ah bin non, tiens, en fait c'est la lune.
Oh, un banc ! Non non, j'déconne pas. La Swisspeaks, ils devaient savoir que j'aurais envie de dormir ici et ils ont mis des bancs tous les 100 mètres, c'est super bien organisé.. Bon, pas de bol, c'est encore une hallu, je suis vraiment mal.
Ah bin non, tiens, c'est encore un vrai banc. Les Suisses, ils mettent VRAIMENT des bancs tous les 100 mètres le long des chemins.
Bon, bin encore dodo. Coup de bol, celui-là, il est plat. Et là, paf je me couche....et paf, je me réveille. Mais là, paf, y'a plus la tête qui tourne, les petits animaux qui traversaient le chemin ont arrêté leurs conneries, la lune est retournée à sa place de lune au lieu d'être en haut d'un télésiège.
Ah bin tiens, j'ai dormi avec ma frontale allumée. Bon, ça n'a pas du gêner grand monde, je suis encore plus le dernier, là, surtout que je sais pas combien de temps j'ai dormi. De toute façon, je m'en fous, je veux pas regarder l'heure.
Allez, on repart. Et le sommet de la Croix d'Incrène est là. Bon, bin, hop c'est facile que je me souviens : on descend 350D- à "Les Creuses", on remonte 600D+ aux Portes de l'Hiver avec le ravito de Chaux Palin aux 2/3 et on roule jusqu'à Morgins.
Et en plus, j'ai un petit peu de jambes et même pas peur de me vautrer sur l'infâme bourbier de la descente. Mince, voilà que le randonneur se transforme en coureur de trail. Allez on prend comme ça vient.
Plus qu'une montée finalement. Et en plus toute facile, sur un chemin 4x4 et puis y'aura Chaux Palin, je n'y suis pas au bout du rouleau (merci les copains sur Whatsapp pour ce trait d'esprit qu'on va croire être de moi).
J'avais juste oublié un mini détail : ça ne fait pas que monter : y'a 3 kilomètres de plat chiantissime sur un chemin de 4x4 où t'as l'impression de faire le tour de la montagne. Et quand c'est chiantissime, qu'est-ce qu'on fait? Bin on s'endort. Et que je zigue, et que je zague. Je vais tout tenter : me chanter des trucs dans la tête, essayer de recalculer ma vitesse aux endroits précédents de la course, imaginer les conneries que je mettrai dans le récit. Bah non, rien.
Et toujours aussi magnifiquement tout seul. Zéro frontale devant, zéro derrière (ça c'est pas un scoop). Et l'un dans l'autre, j'avance. Par contre, Chaux Palin, c'est Chaux Pas Là. J'apprendrai plus tard que ce "ravito en eau", c'est...un bachat au bord du chemin. Bah finalement, tant mieux, je ne perdrai pas de temps.
Ah, ça remonte sur un genre de piste de ski....et me voilà aux Portes de l'Hiver. Je ne regarde toujours pas la montre. Maintenant, cool, ça va rouler jusqu'à Morgins. Super long (9km) mais facile....
...ou pas. J'avais un poil oublié ça :
Un carnage total : un verrou rocheux qu'on descend par ces putain de rocher glissants qui sont....couverts de boue. Plus de 15 minutes pour descendre ce truc et trouver 1) des vaches 2) le jour.
Après une petite erreur de parcours qui me fait perdre 5 bonnes minutes (ces sournoises vaches suisses cachaient 2 balises), je regarde la montre pour la première fois.
6h47
DRIIIIING! J'ai 43 minutes pour arriver à Morgins. Y'a 5 kilomètres.
Mon cerveau embrumé a du mal à faire le calcul, mais c'est sûr que même avec ma meilleure marche ça va pas le faire. Alors, merde, j'ai pas fait tout ça pour échouer à quelques minutes. Alors, il faut faire ce que je déteste : courir.
Et voilà Forrest qui se met en route, un peu comme un dératé (un dératé à 9km/h, hein). Et je cours. TOUT. Le qui descend un peu, le qui est tout plat, le qui remonte une saloperie de putain de pente.
Et un coureur, et deux coureurs, et trois coureurs, qui marchent tous mollement. Et moi, l'idiot du village qui court comme si sa vie en dépendait. Je m'en fous, si j'arrive à la BH, je ressors tout de suite, il restera 42 kilomètres, je les ferai en marchant comme un escargot.
Vous le savez déjà, ça l'a pas fait. Les 5 kilomètres étaient trop longs....ou l'Aigle des Montagnes Suisses était un pauvre (vieux) Monsieur qui ne sait plus courir vite.....et c'est raté pour 5 à 10 minutes ( je crois que je ne saurai jamais).
Mais d'abord, je m'en fous, en bas y'a ma chérie qui m'applaudit et, après ma nuit magique tout seul avec les étoiles filantes (oui, j'en ai vu une), que demander de mieux ?
(bon, je crois que j'en ai écrit un peu trop pour un mini-récit, encore pire que la première partie... Arclu, je te laisse chercher les fautes de frappe rigolotes)